Le SITM : une réponse au besoin de « ré-acculturation » des Armées aux conflits du XXIème siècle

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Entretien avec le général (2S) Charles Beaudouin
beaudoin

L’idée de créer un salon spécifique et un espace d’échange propre à l’écosystème des troupes de montagne est venue du triple-constat suivant :

  1. La réalité d’une nouvelle phase de « conversion géostratégique » en cours remettant le conflit symétrique en Centre Europe et le combat en zone de grand froid au cœur des préoccupations militaires.
  2.  La nécessité de mieux équiper les troupes de montagne et de renforcer les synergies au sein d’une communauté internationale déjà très dynamique au travers d’exercices multinationaux et des centres d’excellence de l’OTAN (« Cold Weather Operations » en Norvège et « Mountain Warfare » en Slovénie ).
  3. L’impératif de diffuser le savoir-faire « combat en grand froid » de ces troupes d’élite au sein des forces armées en général.

S’adapter à la conversion géostratégique en cours

Pour le général (2S) Beaudouin, la période actuelle constitue « une phase de conversion géostratégique tout aussi importante que ne l’avait été en son temps la chute du Mur de Berlin ». Le retour des conflits symétriques au cœur de l’Europe a révélé brutalement les conséquences induites des OPEX et opérations dites expéditionnaires, lesquelles ont « formaté pendant trente ans nos forces armées » selon un modèle réduit sous l’impact du manque de budget et de la prévalence d’un certain « confort opératif » du fait pour la France de son engagement durable en conflits très asymétriques(perte drastique de capacité de défenses sol-air par exemple, inemployées pendant trente ans,..).

Le tournant qui s’annonce pour l’armée de Terre est ainsi de son point de vue aussi majeur et plus difficile que celui auquel elle avait été confrontée au début des années 1990 lorsque le modèle de la Force d’action rapide (FAR) avait prévalu sur celui d’un corps blindé mécanisé armé par le contingent, à ceci près que le modèle d’armée de l’époque était complet contrairement à l’actuel.

« Cette transition avait duré dix ans et nous voici de nouveau dans une situation similaire où l’on a oublié les embourbements typiques du Centre Europe pourtant bien connus pendant la Guerre froide… », rappelle l’ancien commandant du tout premier escadron de chars Leclerc en 1993. 

A mesure que les frontières Russo-européennes et l’Arctique sont devenus des zones majeures de confrontation, le réarmement est un besoin de « réacculturation des Armées », mais aussi de l’industrie de défense dans son ensemble à ce type de combat de haute intensité en zone de grand froid sont à l’ordre du jour. 

La mobilité en milieu extrême, mais aussi le besoin de réchauffage des matériels (d’autant plus important en raison de la présence croissante d’électronique), d’équipement des hommes et de la prise en compte du traitement et de l’évacuation en masse de blessés en grand froid sont autant de défis que les armées ont connu pendant la Guerre froide et pour part pendant la guerre des Balkans, mais sur lesquels elles doivent de nouveau se pencher dans le contexte nouveau de la numérisation et d’une modernisation des forces indispensable pour prendre en compte nombre de lacunes capacitaires. Après trente ans de sous-dotations budgétaires et de réductions successives de format des armées.

Pour le général (2S) Beaudouin, il s’agit « au-delà de l’injection massive et très rapide de drones à tous les niveaux, de défense -sol air basse couche, d’artillerie sol-sol à longue portée et bien sûr de moyens indispensables d’aménagement du terrain (et pour cela peut-être sacrifier, un temps, les études et développements moyen et long terme aux achats pour part sur étagère de court terme – savoir faire face à une guerre symétrique sous le seuil nucléaire avant cinq ans), de repenser fondamentalement les forces, alors que les véhicules à roues sont d’emblée amenés aux limites de leur masse et donc de leur mobilité tactique et de leur protection ». Les RETEX récents venant des opérations menées en Roumanie montrent ainsi que nombre de nos engins blindés et logistiques sont sujets à embourbement et ne sont pas conçus pour absorber le choc frontal dans un scénario de guerre symétrique, suivant la logique d’un glissement très durable (années 90, 2000 et 2010) du besoin militaire et des mentalités dans le paradigme de constants conflits asymétriques. « Le successeur du VBCI sera à chenille », prédit-il et d’ajouter :

« De fait, Le backbone du commandement de haute intensité s’appuie d’abord pour les forces terrestres françaises sur quatre systèmes d’armes – le Leclerc, le VBCI, le Tigre et le Caesar – aux réserves pour attrition inexistantes quand on mesure aujourd’hui les pertes d’un tel conflit … »

Cet évènement « se veut ainsi force de participation non seulement au développement des troupes de montagne, mais aussi à un changement de mentalité » nécessaire pour être prêts à affronter les menaces arctiques et continentales au mitan du demi-siècle., sans rien exclure.

Mieux répondre aux besoins des Troupes de montagne

« Tout comme les Forces spéciales qui ont déjà leur salon en France, mais aussi dans d’autres pays comme aux Etats-Unis et en Jordanie, les Troupes de montagne sont des troupes d’élite au sein desquelles hommes et matériels arrivent aux limites du possible. Le fait d’évoluer dans des milieux extrêmes – Grand Froid, mais aussi parfois forte chaleur – relève déjà en soi de l’exploit, avant même de parler de combat, mais ce qui est compliqué en opération devient dans le Grand Froid et en milieu montagneux encore plus compliqué », rappelle le général (2S) Beaudouin, qui souligne le niveau physique particulièrement élevé des « Alpins soumis à l’aguerrissement naturel de la montagne », mais aussi le niveau de contrainte inégalé tant pour les Hommes que pour les matériels.

La capacité à durer dans le Grand Froid pour des unités complètes intégrant des troupes de mêlée (infanterie et cavalerie), d’appui (génie et artillerie) et de soutien (Train et Trans) nécessite des moyens particulièrement résistants dans un certain nombre de domaines clés, et plus particulièrement :

  • La mobilité, que celle-ci concerne les moyens terrestres (véhicules à chenilles, adhérence des pneus en milieu extrême, redémarrage grand froid, chauffage, etc.) ou aériens (nécessité d’une sur-motorisation).
  • L’énergie, dont les besoins sont décuplés non seulement en raison de l’altitude et des températures, mais aussi de la numérisation accrue que connaît l’ensemble des forces aujourd’hui ;
  • La connectivité, s’affranchissant de milieux très coupés, exigeant des moyens satellitaires particuliers.
  • La logistique (notamment à chenille) essentielle au ravitaillement – notamment en rechange et en munition -, mais aussi au soutien santé et plus particulièrement au rapatriement des blessés en cas de lourdes pertes en zone montagneuse – un impératif « auquel on ne sait actuellement pas répondre », comme le souligne le général (2S) Beaudouin, qui souhaite replacer le soutien santé trop souvent négligé au cœur des débats : « l’anticipation des évacuations en masse, mais aussi de procédures médicales complexes par -30 degrés ou encore de points de chauffage spécifiques, fait partie des réflexions à mener, car on sait bien que le froid menace à lui seul l’espérance de vie de tout blessé », rappelle-t-il à ce sujet.

 

Autant de thématiques centrales que l’on retrouve dans le programme de conférences et d’ateliers prévus lors de ces deux jours d’échanges : pour le sujet mobilité, on citera en particulier les deux conférences « Guerre moderne en montagne » et « Mobilité motorisée en montagne » ou encore les ateliers « Réduction de l’empreinte thermique », « Evolutions des véhicules à haute mobilité en montagne d’ici 2030 », ou encore « Mobilité motorisée légère ». Sur l’énergie, un atelier intitulé « Autonomie énergétique en altitude » est consacré à ce défi croissant. Les questions de soutien et de logistique seront quant à elles abordées dans le cadre des conférences « Guerre moderne dans le grand froid » et « La logistique en grand froid » et des ateliers « Santé en montagne », « Maintenance en montagne et grand froid » et « Treuil à grosse capacité d’emport ». La question de la connectivité sera traitée dans le cadre du workshop intitulé « Transmissions légères et portatives », mais aussi au travers de la problématique plus générale de « l’emploi des drones en montagne » (avec une conférence dédiée éponyme et deux ateliers intitulés « IA embarquée dans les drones » et « Drone FPV RACER ») .

Les troupes de montagne, « pointe de tungstène » du milieu grand froid

Ancien officier de cavalerie, le général (2S) Beaudouin estime que les troupes de montagne sont le fer de lance – ou selon l’expression utilisée dans les chars « la pointe de tungstène » – de la transformation qu’il convient de mener aujourd’hui au sein des forces conventionnelles, lesquelles doivent être rééquipées et bénéficier de la diffusion de la triple-expertise des troupes de montagne françaises, à savoir grand froid, mais aussi montagne en zone froide et montagne en zone chaude.

Une des particularités des troupes de montagne françaises est en effet leur capacité à être déployées sur différents théâtres d’opération (comme ce fut le cas aux Balkans, mais aussi en Afrique et en Afghanistan), ainsi que leur participation régulière à différents exercices multinationaux dans le cadre de l’OTAN.

Forte en particulier des formations qu’elle est en mesure de proposer au travers de sa célèbre école de haute montagne et de ses centres d’entraînement, la 27e BIM a développé une vingtaine de partenariats internationaux non seulement avec ses voisins alpins (Autriche, Allemagne, Suisse, Italie) et européens (Espagne, Grande-Bretagne, Norvège, Danemark, Finlande, Géorgie, etc), mais aussi avec des pays alliés intéressés par le milieu montagne, tels les Etats-Unis et le Canada, ou encore le Maroc, la Jordanie, le Liban et les Emirats arabes unis. Nombre de ces pays « abonnés » ont de fait déjà exprimé leur souhait d’envoyer une délégation au Sommet de Grenoble.

Coopération internationale, mais aussi interarmées (avec en particulier la participation de la gendarmerie de montagne) et transverse en raison de la dualité civilo-militaire caractéristique du milieu Montagne : « nombre des équipements des troupes de montagne vient ainsi du monde civil, qu’il s’agisse des skis, des tentes ou encore des motoneiges par exemple », rappelle le président du COGES.

C’est précisément en raison de cette spécificité duale que « décision fut prise d’organiser le SITM à Grenoble au sein de l’écosystème particulièrement dynamique de la région Rhône-Alpes et terre de la Brigade dont le PC et deux régiments sont localisés à Varces à dix kilomètres de là ».

Avec plus de 1000 participants, de nombreuses délégations internationales, beaucoup de hautes autorités militaires françaises, et plus de 75 exposants répartis sur 1500 m2, cette toute première édition du SITM souhaite ainsi forger un « lieu de réflexion allant au-delà d’une simple expertise de niche au sein duquel les experts du milieu et les délégations officielles seront à même d’échanger très directement et de façon particulièrement qualitative ».

Ouverts aux visiteurs professionnels et qualifiés, le SITM est « The Place To Be » les 12 et 13 février prochains pour tous ceux soucieux de participer aux réflexions sur le combat en milieu extrême – montagne et grand froid – et de rejoindre cette communauté naissante dans un cadre convivial mettant à l’honneur un esprit montagnard de renommée…

Propos recueillis par Murielle Delaporte